Lettre à mes enfants . 03

Lettres à mes enfants, ce sont des mots et des idées que j’ai envie de laisser à ma fille et mon fils, comme un recueil de phrases un peu brouillon qui leur permettra de mieux me connaître, si un jour ils en faisaient la lecture. 

Il y a quelques mois, je terminais d’assembler des petits objets, messages et photos que je voulais ajouter au livre de bébé de Philémon, qui n’était pas encore terminé. J’ai retrouvé les notes prises par mes sages-femmes lors de mes deux accouchements. Après la lecture de ces documents, j’ai beaucoup repensé à votre arrivée au monde.

Je pense que je ferais une bonne mère porteuse. Je n’aurais pas pu vivre de plus belles grossesses et de plus simples accouchements. C’est à l’arrivée du bébé que ça se complique pour moi, mais c’est un autre sujet! #postpartumnoiretmelancolique

Dès le moment où j’ai appris que je te portais, Félicie, j’ai su que je désirais un suivi sage-femme. Le mari, dans ses habitudes confiantes et sans stress était bien d’accord. Je ne suis même pas allée consulter de médecin. Je n’ai pas non plus fait la première visite d’usage à la Maison des naissances de ma région, sachant que mon choix était ferme et que mon état correspondait aux conditions requises pour être suivie à cet endroit pendant les semaines de la grossesse et pour la suite.

J’ai aimé accoucher. Je me suis sentie forte, en douleur mais en contrôle. Et en totale confiance. J’ai chanté à chaque grande contraction et j’ai presque fait le travail toute seule. Je n’avais pas de plan de naissance, seulement le désir d’être le moins dérangée possible, être dans une bulle et que personne ne la fasse éclater. Je savais que c’était dans ces conditions que je réussirais à gérer la douleur sans péridurale.

Lorsque j’ai mal, pendant mes accouchements ou à d’autres moments de ma vie, c’est comme si j’entrais en moi pour enrober ma douleur. Comme si je sortais de mon corps et que ma conscience s’extirpait du monde réel pour entrer dans mes profondeurs et prendre le rythme de ma respiration. C’est exactement la façon dont j’ai vécu votre naissance. Je savais que je devais être dans un environnement sombre et calme. J’avais mentionné à mes sage-femmes que je bougerais si je devais le faire pour faire avancer le travail, mais que si tout se déroulait bien, je resterais immobile et ne voulais surtout pas qu’on me parle ou qu’on me pose des questions.

Ainsi, mes deux accouchements ont été très semblables. J’ai accouché en un peu moins de 4 heures chaque fois, couchée sur le coté droit pour ma fille, sur le gauche pour mon fils. Exactement la même position. Je n’ai jamais senti la présence des sage-femmes, de leur équipement, de leurs paroles. Je me souviens de la présence de William, qui dormait entre contractions, couché sur le lit à mes côtés, me tenant les mains. Je me souviens des points de pression que me faisait la sage-femme dans le bas du dos et qui me soulageaient. Je sais que pour ma fille, on a essayé de mettre de la musique, Patrick Watson, mais que ça me déconcentrait et qu’on est revenu au silence. Le reste est flou.

Je n’ai pas lu beaucoup sur la maternité ou l’accouchement avant que mes enfants ne viennent au monde, mais je me souvenais qu’Isabelle Brabant, dans l’extraordinaire livre Une naissance heureuse, insistait sur le fait que lors d’un accouchement, on passe plus temps à être au repos qu’en contraction. Je n’étais pas consciente de grand chose pendant le travail, mais je me répétais que je devais profiter de ce temps entre deux vagues, entre deux douleurs.

Suite à mes deux expériences dans une Maison des naissances, je regrette que si peu de femmes aient accès à ces services, soit par pénurie, soit par manque d’informations. D’un autre côté, je comprends tout à fait que des femmes préfèrent aller à l’hôpital et que toutes n’aient pas envie ou ne puissent pas vivre une expérience comme la mienne. Je souhaiterais cependant que toutes aient le choix de la manière dont elles donnent naissance. Je me réjouis donc que l’OMS plaide pour une moindre médicalisation des naissances et que le rythme de dilatation du col de l’utérus, qui sert de référence pour établir si l’accouchement est anormal et qui date des années 50, soit évalué de façon plus souple. Chaque femme est différente, chaque accouchement l’est tout autant. Et plusieurs femmes, pas toutes heureusement, vivent de la violence obstétricale dans un moment de grande vulnérabilité. Ça peut être traumatisant, ça peut être heureux, ça peut être froid ou chaleureux, ça peut être ce que l’on veut si on peut faire un choix éclairé selon ses valeurs et sa condition.

Mes amours, vous êtes arrivés dans ce monde simplement, dans un grand lit, dans une maison confortable. Une vague d’amour, due à la glorieuse ocytocine, m’a envahie lorsqu’on vous a immédiatement déposés dans mes bras, avec votre odeur d’utérus et vos cris et votre petit corps glissant. Je sais que je ne veux plus de bébé. Mais j’en referais à répétition seulement pour vivre ce rush de bonheur à nouveau. Ce moment intime et merveilleux de présence et d’absence au monde simultanée et sans logique, c’est absolument unique. Il faut protéger cet instant, pouvoir le choisir, savoir le chérir.