répertoire d’objets | CINQ QUESTIONS AVEC OUT
Pour le Répertoire d’objets, je vais plus loin que le simple catalogue. Le savoir-faire des artisans m’intéresse et me passionne. J’ai envie de leur poser des questions, de fouiner, d’élaborer un peu. De façon simple et concise, je vous ferai découvrir différents créateurs dans cette série 5 questions avec.
Chantal Poirier est une de ces personnes uniques que l’on ne rencontre pas à tous les coins de rue. Elle est talentueuse, réfléchie, ouverte, disponible, pétillante, positive. Elle est artisane diplômée du Centre de Design en Impression Textile de Montréal. Elle vit avec sa jeune adolescente allumée et brillante. Elle est propriétaire de OUT., une entreprise dont la mission est de fabriquer des objets utilitaires en cuir, coton et feutre. Ses tabliers, étuis, pochettes et ceintures sont robustes et beaux, bien conçus et durables. Ils sont sérigraphiés, cousus, cirés à la main avec soin.
Chantal a choisi de s’installer à St-Ulric, petit village riverain situé à l’ouest de Matane, entre le Bas-St-Laurent et la Gaspésie. Je la connaissais du temps où elle dirigeait la Galerie d’art de Matane et son retour dans la région m’a réjoui. Je travaille à son atelier en bord de mer quelques heures par semaine. Ce labeur manuel me fait un grand bien. Fabriquer une ceinture en cuir semble simple. Au contraire, plusieurs étapes et de détails sont nécessaires à sa réalisation! Étant déjà plutôt sensible à la valeur du travail des artisans, cette expérience en compagnie de Chantal m’a fait prendre conscience de toute la sueur, mais aussi du plaisir dans lesquels sont conçus les objets uniques et éthiques.
Voici mon entretien avec Chantal Poirier, propriétaire, designer et artisane, accompagné de mes photos.
Q – Tout d’abord, j’aimerais que tu me parles de ta formation et de ton parcours. Pourquoi es-tu devenue artisane textile?
Par le passé, j’ai étudié et travaillé dans le domaine des arts visuels. Dans ma pratique de l’époque, le textile était toujours présent. À un moment où j’avais besoin d’aller voir ailleurs, j’ai décidé de retourner aux études et de compléter un DEC en design textile à Montréal. C’était pour moi naturel de poursuivre mon exploration de ce medium qui me touche énormément. Il y a un besoin constant pour les tissus. Pourquoi ne pas en créer des beaux pour joindre l’utile à l’agréable?
Q – Tu sembles attachée à l’Est-du-Québec et à ton village, St-Ulric. Tu travailles face au fleuve, dans un lieu très calme. S’installer en région, choisir s’éloigner de la ville, ça comporte son lot de défis et de joies aussi. Quelle importance occupe l’emplacement de ton atelier dans ton travail?
Une énorme importance! Ça fait une grande différence d’être installée à St-Ulric. C’est un point majeur dans ma démarche. Je suis arrivée au Bas-St-Laurent un peu par hasard, il y a une vingtaine d’années. J’ai choisi de m’établir dans le coin sans avoir de famille ou d’amis dans les alentours. Maintenant, toute ma vie est construite autour de ma maison, de mon incroyable réseau d’amis et du fleuve juste en face.
Malgré l’éloignement, l’enjeu de la commercialisation ne se pose plus grâce au web. Je suis loin des villes où se tiennent la majorité des salons dans mon domaine, mais je peux me déplacer. Le défi se trouve plus au niveau de l’entraide: si j’ai une difficulté technique ou créative, je ne peux pas aller voir ma voisine d’atelier et lui demander conseil. Je dois être autonome et débrouillarde.
D’un autre côté, j’apprécie d’être loin de la ville et de ses jeux d’apparence. Le rapport au look, à la performance et au temps est très différent. Je me lève chaque matin avec le fleuve devant la maison; comment ne pas prendre le temps de l’observer et d’épier le phoque qui s’installe toujours sur son rocher devant ma fenêtre? J’ai l’impression de vivre à une échelle plus humaine, plus décontractée, plus saine. La vie coûte moins cher, alors la pression de produire est moins grande. Ma vie est plus équilibrée et je suis heureuse de prendre le temps de jardiner ou de réparer le sac du voisin. Cette qualité de vie est pour moi aussi importante que ma carrière. Ça me rend fière.
Q – Quelles valeurs guident ton travail? Qu’est-ce qui est non négociable dans ton processus de création?
La durabilité est la valeur fondamentale de mon travail. Jamais je ne ferais de compromis sur la qualité pour baisser mes coûts de production. Je tiens à ce que mes produits durent dans le temps, qu’on s’en serve longtemps et qu’il soient même légués en bon état à nos enfants.
La production éthique me tient aussi à coeur. Je tiens à ce que les gens qui collaborent avec moi aient de bonnes conditions de travail. Le mouvement de slow couture me parle beaucoup avec ses concepts de qualité, de durabilité, d’éthique, et de production locale et artisanale.
Q – Tu rêves à quoi ces temps-ci?
Je rêve à la simplicité. Je rêve d’être utile à la communauté dans laquelle je vis, de manière logique. Je rêve d’une communauté moderne où les forces et les talents de chacun sont naturellement reconnus à leur juste valeur, sans compétition inutile, sans que l’un se sente menacé par les aptitudes, les succès, les bonnes idées des autres. Je rêve aussi de me bâtir une vie saine, où le travail et tout le reste s’entrecroise avec grâce.
Q – Enfin, j’aimerais connaître les personnes, lieux ou objets qui t’inspirent et/ou t’influencent le plus actuellement.
C’est une question difficile! Je peux dire que ma maison m’inspire. Elle est vieille, droite et résiste aux grands vents et au froid. Elle m’abrite et tient toujours debout après que plein de gens l’aient habitée, l’aient utilisée, en aient pris soin. Elle a traversé les générations. J’imagine que c’est encore une fois la durabilité qui m’inspire.
Mes amis maraîchers sont des gens que j’admire. J’aime le fait que des cycles complets soient accomplis sur leur ferme. Ils partent du foin qui nourrit le mouton, à sa laine qui est tondue, puis filée et tricotée en vêtements. Même chose avec le fumier qui enrichit les légumes, qui eux nourrissent les chevaux qui travaillent sur la terre et qui redonnent à leur tour du fumier pour recommencer le cycle. Tout le savoir-faire pratique de ces amis m’impressionne.
Mes inspirations tournent généralement autour des savoirs qu’on croyaient perdus et que des gens ravivent. Je pense aux forgerons (je capote sur la forge!), aux cordonniers, aux teinturiers. J’ai l’intime conviction qu’en tant que société on aura un jour à revenir à ces savoirs d’antan. Et je me dis que c’est peut-être tant mieux!
Répertoire d’objets (Cinq questions avec) est une série visant à accumuler et créer un catalogue d’objets d’ici et d’ailleurs, créés avec goût et savoir-faire. Je remplis mon camion virtuel de toutes ces choses qui rendent la vie plus belle sans l’encombrer, qui sont durables, utiles, originales, bien conçues. Je tenais autrefois un blogue (sur blogspot!!) qui répertoriait plein de trouvailles et d’objets d’artisans et de créateurs. Comme c’était populaire et que ça me manque, je recommence. Il y a tant de belles choses à découvrir. Lire tous les articles de cette série par ici.