Le bonheur, à Matane et ailleurs – pour Bloome Magazine
Entre Montréal et Matane
Je viens d’un village situé entre Matane et Rimouski, alors je connaissais bien la région. J’ai étudié à Rimouski et à Montréal en littérature et en gestion d’organismes culturels, j’y ai travaillé dans des domaines connexes, mais j’étais certaine que je reviendrais un jour dans l’Est-du-Québec, sans toutefois imaginer que ça se ferait aussi vite! Mon grand rêve, c’était d’avoir mon propre café ou un commerce du genre. Une grande amie matanaise, qui était au courant, m’a appris un jour qu’une boulangerie locale fermait. J’ai demandé à mon mari ingénieur: « Es-tu capable de faire du pain?» William, qui est originaire de Charlevoix et qui est toujours partant, m’a répondu: «Oui». Nous avons oublié nos plans d’aller vivre au Yukon (une autre folie de l’époque) et nous nous sommes installés à Matane pour ouvrir une boulangerie artisanale avec un espace boutique et café.
C’est à cause de la boulangerie qu’on s’est installés ici. À l’époque, même si j’y pensais, je n’aurais jamais fondé une boulangerie à Montréal parce qu’on aurait été noyés parmi tous les autres commerces, perdus dans toute cette offre formidable. À Matane, une boulangerie, un café, une microbrasserie sont plus que de simples établissements; ils revitalisent le centre-ville et ont une grande importance pour la vie des gens des alentours. Je savais que mon impact serait plus grand hors de la métropole.
Aujourd’hui, j’ai parfois envie de me rapprocher de Montréal, que j’affectionne beaucoup et où je retourne dès que je peux. J’aime le changement constant, le rythme, les textures, le printemps, les détails, l’anonymat de la ville. Mais la campagne m’apaise. C’est ici chez moi.
Après la boulangerie, les enfants
La boulangerie nous a tenus très occupés pendant cinq ans. Nous étions des artisans: nous ne faisions aucun compromis sur la qualité, la provenance et la fraîcheur de nos ingrédients ni sur les procédés de fabrication souvent ardus et longs, mais terriblement satisfaisants. Nous avions parfois l’impression d’être des résistants parce qu’à l’époque, l’achat local et le commerce indépendant n’étaient pas encore trop populaires en région. Mais cette aventure nous a rendus très fiers, car nous avons réussi à nous inventer une vie, ensemble et avec nos merveilleux clients, fondée sur nos valeurs et nos ambitions. Et puis nous avons eu notre fille.
La conciliation travail-famille a été très difficile pour nous. Alors nous avons vendu. Et eu notre garçon. Je suis maintenant photographe, designer Web et rédactrice. William, lui, est enseignant de cégep et syndicaliste. Comme si, du jour au lendemain et depuis bientôt cinq ans, nous avions gagné toute la liberté du monde et beaucoup de traits d’union dans nos titres.
Élever des enfants à Matane, ça simplifie beaucoup de choses! Il n’y a pas d’école privée et seulement une école secondaire, alors on fait avec celle qu’on a. Mes enfants grandissent avec le fleuve – qu’on appelle la mer vu sa largeur – avec la grève, les champs, la rivière, le vent et la neige. À six et trois ans, ils vivent lentement et simplement; en douceur, j’ai l’impression. Habiter en région me calme et je crois que ça se répercute sur toute la famille. On a moins de choix (offre culturelle, écoles, restos, boutiques, etc.), alors ça nous permet de passer beaucoup de temps en famille, de faire soi-même plus de choses et de moins s’éparpiller.
Les enfants élevés à Matane et dans les environs sont cependant très peu baignés dans la diversité. Les gens se ressemblent, ici. C’est très uniforme côté culture, genres, professions, modes de vie, etc. Je fais donc l’effort de discuter de ces sujets avec mes enfants et de leur faire voir et prendre conscience d’autres réalités que la nôtre. C’est important. S’ouvrir apaise les doutes et calme les peurs.
Des hivers longs, mais bons
L’hiver est long, par ici. Je fais des biscuits, je bois du vin, je fais des feux de foyer et je tricote! J’aime être à la maison; j’en prends soin. J’aime boire un café dans une belle tasse faite à la main, j’aime fabriquer des choses et cuisiner. J’aime recevoir la famille et les amis pour le brunch ou le souper. J’écoute beaucoup de radio et de musique (on a une grande collection de vinyles!) et je lis énormément de livres et de magazines. Avec les enfants, je fais des casse-tête, des bijoux, de la pâte à modeler maison, n’importe quoi. Le temps a rafraîchi subitement cette semaine et ça m’a donné envie de faire une corvée de momos avec mon mari (les momos, ce sont des dumplings, ainsi nommés par des Tibétains avec lesquels j’ai vécu en Inde). Voyez le genre? Tout cela égaie mes hivers.
Et puis, soudain, l’envie me prend d’aller faire un peu de raquette, de glisser et de construire des forts avec les enfants, de prendre de l’air frais, surtout lors des journées où la lumière est rose et le vent, doux. Car oui, l’hiver est long dans l’Est-du-Québec, mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, le climat est beaucoup moins humide qu’à Montréal ou à Québec. Cela dit, la neige est abondante et les écoles sont fermées plusieurs jours par année parce que les tempêtes peuvent être énormes! S’agit d’avoir une bonne pelle, de bonnes bottes, de bons voisins qui s’entraident et du thé chaud.
Des wannabe homesteaders aux rêves infinis
Vous savez, nos plans fous? Eh bien, si on se laissait aller, on vendrait notre maisonnette pour acheter une terre, on cultiverait ce dont on a besoin pour vivre et on fabriquerait le reste. Ce qui nous retient, c’est notre désir de liberté et de voyages. Atelier Camion*, mes contrats et mes projets en développement prennent aussi beaucoup de mon espace mental. Nous sommes donc des homesteaders de fin de semaine.
On n’achète pratiquement que des ingrédients de base, à l’épicerie et par l’entremise du groupe d’achat dont on fait partie. On fait notre pain, on a notre levain depuis plus de 10 ans. On s’est lancés dans la préparation de kombucha avant que ce ne soit tendance, on fait nos confitures et compotes, des conserves (j’ai essayé les fleurs d’ail lactofermentées cette année!), des liqueurs (du vermouth maison!), de la mayo, etc. Plein de choses simples et rustiques, from scratch. Nous avons envie d’un dessert? On le prépare. Des chandelles pour aller dessus? Je les fabrique en cire d’abeille locale. Eh oui! Nos produits ménagers sont faits maison, je tricote beaucoup et je préparerai bientôt notre classique sirop de baies de sureau pour tenter de prévenir le rhume hivernal. Ce désir de fabriquer des choses du quotidien m’est venu graduellement, puis il s’est emparé de moi et c’est maintenant difficile de le calmer! J’aimerais savoir coudre, tisser, teindre des textiles naturellement. Je veux apprendre à identifier des aliments sauvages et à les cueillir de manière respectueuse. Jardiner mieux aussi, ce serait bien. Vivre comme jadis, mais de façon moderne. Et jolie.
Côté nutrition, nous ne sommes pas végétariens, mais comme nous aimons les poissons et les fruits de mer, nous mangeons très peu de viande et avons éliminé le bœuf pour des raisons d’environnement et de santé. On m’a opérée pour un cancer de la glande thyroïde il y a un peu plus de deux ans et, depuis, l’alimentation et ses effets sur le corps m’intéressent encore plus. Je songe parfois à suivre une formation en nutrition holistique ou en sciences gastronomiques en Italie. Je ne manque certainement pas de rêves, mais parfois d’un peu de temps!
Les voyages si nécessaires
Autant j’aime être à la maison, autant voyager m’est nécessaire. C’est très égocentrique ce besoin d’aller voir ailleurs, mais ça relativise bien des choses pour ma tête en constante action, tendance anxieuse. Mon mari est enseignant, je suis travailleuse indépendante: nous sommes tellement libres! C’est une combinaison de professions idéale, tant pour les voyages que pour la vie de famille. Nous avons recommencé à voyager il y a deux ans et c’est comme si j’étais en apnée depuis des années et que je respirais maintenant de tout mon saoul.
Je voyage depuis mon enfance. Petite, je passais des semaines avec mon père camionneur de longue distance sur les routes américaines et canadiennes. À dix-sept ans, je suis partie étudier à Montréal et j’ai passé trois mois en Inde l’année suivante. Ces expériences m’ont donné la bougeotte et m’ont fait voir toutes sortes de réalités. Après avoir tenu la boulangerie et eu mes enfants, je sentais que mon seul regret, si la vie suivait son cours telle qu’elle était, serait de ne pas avoir voyagé davantage. Je suis donc partie au Danemark l’an dernier pour me «redémarrer le voyage». Puis notre petit clan a passé trois semaines en Slovénie et en Croatie l’été dernier. On se prépare pour (probablement) le Yucatán l’été prochain. C’est une obsession, je ne peux plus arrêter le mouvement!
L’essor des talents en région
Il y a de plus en plus de créateurs, de producteurs, d’artisans et de gens d’audace dans l’Est-du-Québec. Ça améliore notre qualité de vie et la fierté de tous. Qu’une microdistillerie de renom, qu’une chocolaterie bean-to-bar, qu’un illustrateur de réputation internationale ou que des ébénistes particulièrement talentueux s’installent au Bas-St-Laurent, en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, ça montre que bien des choses sont possibles partout au Québec et ce, sans compromettre la qualité et l’inspiration. En plus de nous en mettre plein les yeux, notre grande région nous réjouit par tous nos sens.
Parfois, je me sens loin, à Matane. Le quotidien est parfois plus compliqué. Mais la vie est bonne dans l’est. Je vais d’ailleurs vous raconter ça dans mes prochaines collaborations avec Bloome !