Coqui Coqui – pour Dinette Magazine

Je pris goût à cette récréation des yeux, qui dans l’infortune repose, amuse, distrait l’esprit et suspend le sentiment des peines. La nature des objets aide beaucoup à cette diversion et la rend plus séduisante. Les odeurs suaves, les vives couleurs, les plus élégantes formes semblent se disputer à l’envi le droit de fixer notre attention. Il ne faut qu’aimer le plaisir pour se livrer à des sensations si douces.

– Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries d’un promeneur solitaire

 

Je ne suis pas la femme d’un seul amour, sauf en ce qui concerne mon mari, le vin blanc et l’odeur de l’air salin. Ainsi, mon amour du voyage est fait de contrastes. Je loue des chambres ou des appartements modestes, dans des quartiers éloignés des attraits touristiques et je tente d’y vivre une autre vie que la mienne. Et puis, au détour de la ville, un éclat de luxe capte mon attention, titille mes sens. Je délaisse la simplicité et m’amourache pour un moment de cet amant de passage.

Valladolid, dans la région mexicaine du Yucatán, est une petite ville issue de la confluence des cultures préhispa- nique et coloniale. Charmantes et intrigantes, les façades des maisons en rangs serrés sont peintes de tous les pastels. Elles reflètent les couleurs changeantes du ciel et des rayons du soleil. Elles camouflent souvent un intérieur vaste et somptueux qui s’oppose à l’apparence modeste de la rue.

 

Sur un joli square bordé de rues en pierre, dans la lourde chaleur de la ville, une de ces façades, toute rouge, se fait discrète. Devant la maison, un ancien carrousel attire l’œil, mystérieux. Je frappe, j’entre, puis le temps s’arrête : le passé et le présent se confondent subitement. Les plafonds hauts font résonner la musique. Les murs sont sombres et la lumière qui vient de la cour intérieure puis des lustres reflète sur des cloches de verre qui protègent des pots de miel, du chocolat et des flacons de parfum. L’odeur est enivrante, riche et ample, comme si elle faisait partie de la maison. Je suis chez Coqui Coqui.

Il y a vingt ans, la première résidence concept Coqui Coqui a été établie à Tulum. Celle-ci est maintenant fermée, mais plusieurs autres ont vu le jour dans la péninsule du Yucatán et en Polynésie. Les partenaires fondateurs du projet sont Matías González, un Argentin, ainsi que le couple formé de Francesca Bonato, Italienne, et Nicolas Malleville, Argentin, autrefois modèle, aussi architecte et véritable artiste à la tête de la marque Coqui Coqui. Ces trois acolytes sont tombés amoureux de la région et de ses effluves, de son histoire et sa chaleur. Ils ont créé chaque hôtel unique et inspiré de son environnement. Par exemple, celui de Coba est le plus grand et est situé en pleine jungle, au bord d’une lagune où vivent des crocodiles. Celui d’Izamal est joint à une pyramide maya où une chambre en est séparée par un mur de verre.

 

Pour sa part, la résidence de Valladolid, nommée Mesón de Malleville, présente une ambiance vintage. Érigée au 16e siècle, puis rénovée de fond en comble, on a pris soin d’en conserver le cachet et tous les éléments qui y contribuent : planchers de tuiles typiques du Yucatán et les hauts plafonds soutenus par leurs poutres de bois originales. Des prêtres franciscains ont habités ici. Puis ce fut une hacienda. C’était encore, il y a peu de temps, la maison de Nicolas et Francesca. J’étais chez eux, en quelque sorte. J’ai dormi dans l’ancienne chambre de leurs enfants. Dans cette pièce, en lisant le livre Etcetera de la designer Sibella Court déniché dans leur grande bibliothèque, j’es- sayais de deviner à quoi pouvait bien ressembler leur maison actuelle. Je l’imagine remplie de tissus du monde, de meubles anciens en bois, de lustres puis de textures riches et organiques.

Dans la cour et sur les petites terrasses privées de la résidence, la végétation abonde et les oiseaux chantent. Nicolas, un des fondateurs, se passionne pour les palmiers – il en a fait l’objet de ses études, il en est fasciné! Il a donc voulu nommer l’endroit Coco Coco, en référence au fruit du palmier, mais la référence avec Coco Chanel était trop évidente pour lui. Il a donc opté pour Coqui Coqui, un petit nom tout joli, tout léger. Il va sans dire que le contraste avec l’opulence de l’endroit est assez intéressant.

 

Les odeurs sont omniprésentes chez Coqui Coqui. On y fabrique des parfums nommés Flor de Naranja, Medura, Coco Coco, Tobaco ou Agave. Ces fragrances sont empreintes d’un romantisme passé et de l’histoire de Valladolid, ancrée dans l’art de la parfumerie. Au cours de la colonisation du Nouveau Monde, la reine d’Espagne avait commandé aux Frères franciscains de récolter des fleurs, des essences de bois et des herbes exotiques avec les Mayas. Le réper- toire était si riche et varié que peu à peu, les frères ont créé un catalogue botanique contenant les formules les plus uniques pour l’eau de Cologne, les émulsions et les essences qui ont parfumé l’Empire espagnol pendant près de 300 ans. J’ouvre une de ces bouteilles, je respire et je ferme les yeux. Je sais, je sens que je suis dans une contrée empreinte d’exotisme.

De retour dans ma suite, je n’ai qu’une envie : celle de me glisser dans un bain chaud. Dans la baignoire toute noire et assez grande pour mes longues jambes, j’ai versé un peu d’une huile au parfum exquis qui m’avait été offerte. J’ai fait jouer le piano d’Alexandra Strélisky. Même si mon livre était tout près, je n’ai rien fait d’autre que rêver et m’imaginer à quoi pouvait ressembler la vie d’aristocrate. Puis j’ai dormi d’un sommeil de reine.

 

Au lever on m’a servi du granola, du pain et des confitures de fleurs de jamaica, puis du thé à la rose et à la menthe dans une magnifique porcelaine royale digne de l’endroit. En déjeunant dans la cour paisible du Coqui Coqui, j’embrassai cette rêverie avec félicité, une dernière fois, avant de regagner le joyeux tapage des rues baignées du quotidien mexicain avec leurs petites échoppes, leurs stands à tacos et leurs cuivres enivrants dont les notes rythmées s’accrochent merveilleusement à l’oreille.