CLAUDIA LAVALLÉE . montréal

C’était pendant la canicule d’automne. J’avais dû me retenir d’apporter mes chaussettes de laine, accessoire normal de mon chez moi venteux et précocement froid à la minute où les journées raccourcissent. Ma rencontre avec Claudia était la dernière prévue lors de mon séjour montréalais, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce où j’allais pour la première fois. Généreuse, Claudia me proposait de se rencontrer au métro, pour que l’on puisse faire le chemin ensemble et peut-être s’asseoir dans un étrange petit parc envahi d’oiseaux un peu trop envahissants.

Claudia est une femme transparente et sensible, à la fois très directe et très respectueuse de l’autre.  Elle s’intéresse aux vies différentes, peut-être parce que la sienne est si particulière et unique. Elle travaille fort pour maintenir la simplicité, pilier de son foyer. Comme elle le dit elle-même, elle vit un mode de vie alternatif, mais réaliste.

L’impact de ses gestes et de ses choix est étudié, puis les décisions qui s’imposent sont prises. Rien ne semble laissé au hasard et le système fonctionne. Peut-on en conclure que les choix lentement réfléchis mènent à une certaine légèreté après coup, à des habitudes bien intégrées qui deviennent naturelles? Que les efforts investis pour établir un système simple qui nous convient paient après coup en bien-être et en plaisir? J’aurais tendance à dire que oui. Agir avec intention et conscience pour trouver le moyen de mener une vie cohérente avec ses valeurs et avec le monde (en crise) qui nous entoure.

J’ai connu Claudia via son compte Instagram, @etsicetaitsimple, où elle partage des clichés et des réflexions tirées de son mode de vie simple, presque zéro déchet, minimaliste, végane et rempli de lectures, de documentaires et de jolies choses durables aux matériaux nobles. On y fait la connaissance de son mari, Dan, de sa fille, Alice et de son chien, Brian.

Lors de notre après-midi ensemble, Claudia m’a fait découvrir son quartier. Nous avons fait des emplettes sans générer de déchet dans un commerce où Claudia doit parfois insister (de manière bien sympathique) auprès des employés pour utiliser ses propres pots et sacs; elle le ferait probablement peu importe les objections. Nous sommes aussi passées à la bibliothèque, un endroit qu’elle fréquente assidûment. Elle lit énormément, surtout des essais et des bds. N’achetant qu’un occasionnel livre pour sa fille, elle assouvit sa soif de bouquins à cette bibliothèque municipale très design et lumineuse. Un beau lieu, j’irais souvent aussi.

Enfin, nous avons découvert ensemble la nouvelle boulangerie du quartier. Nous étions bien excitées, pour des raisons différentes: Claudia était heureuse que l’absence de bon pain soit comblé près de chez elle, tandis qu’en tant qu’ancienne propriétaire de boulangerie artisanale, j’étais éblouie de découvrir que la farine était moulue sur place (le rêve!) et que ce nouveau commerce est la nouvelle aventure des anciens du Pain dans les voiles. Par hasard, j’ai rencontré des maîtres en leur domaine, des passionnés. Ça fait toujours du bien.

Voici donc notre entretien, réalisé sur les bancs de la belle bibliothèque.

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QUI ES-TU? QUEL EST TON MODE DE VIE?

Je m’appelle Claudia Lavallée, j’ai 37 ans. Ma famille et moi, on vit à Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, pour optimiser nos valeurs. On n’aime pas ça quand c’est compliqué – on est très simplicité volontaire, zéro déchet – ça peut paraître compliqué, mais ça ne l’est pas du tout! Dans le fond, mon projet, c’est la simplicité volontaire en famille. La famille, c’est important, et je suis super chanceuse parce que mon conjoint, Dan, sans être excité par une épicerie zéro déchet, embarque, comprend et se sent rejoint par les valeurs de la simplicité volontaire. C’est facile pour nous car Dan collabore et Alice a grandit là-dedans. C’est pas une bataille, c’est familial et il faut que ça le soit pour la réussite du projet.  Si c’était plus compliqué, je le ferais, mais j’aurais beaucoup moins de plaisir.

À la base je suis gestionnaire, mais je suis maintenant maman à la maison. J’ai fait des études à l’université, j’ai adoré travailler dans ma vingtaine en gestion d’événements, développement durable et communications. Quand on a eu Alice au début de la trentaine, très naturellement, on s’est dit non, notre projet, c’est de vivre un mode de vie alternatif, mais réaliste. On n’est pas déconnecté complètement de la réalité: Dan est gestionnaire à Montréal et c’est son salaire qui paie pour notre lifestyle et pour l’école d’Alice qui convient à nos valeurs.

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QUI PARTAGE TA VIE?

Il y a Alice, qui a 6 ans et demi et il y a Dan, qui a 37 ans comme moi. Je l’ai rencontré dans mon cours de chimie en secondaire 5. Ça fait donc vingt ans qu’on sort ensemble. On est très fusionnels! Et il y a aussi Brian, notre chien, un cockapoo de 10 ans. Il a plein de maladies, 41 allergies… On investit tellement d’argent dans ce chien là… Pour vrai, tu ne peux pas ne pas l’aimer! Tous les vétérinaires nous disent que ce chien-là devrait être mort depuis longtemps. Haha!

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PEUX-TU ME PARLER DE TON OCCUPATION PRINCIPALE, CE QUE TU FAIS DANS LA VIE?

Il y a beaucoup de femmes qui trouvent qu’il y a une connotation négative au fait de se dire mère à la maison… Toute ma vie, peut-être que c’est à cause de ma face qui dit « vient pas m’écoeurer avec tes commentaires désobligeants », mais même en allaitant Alice jusqu’à 3 ans et demi, jamais je n’ai eu un seul commentaire. Même chose lorsque j’ai arrêté de travailler. Malgré ma carrière, aucun commentaire. Probablement parce que, sans être bête, je ne suis pas ouverte à la négociation. C’est peut-être mon karma, mais tout le monde est fin avec moi, même si je fais des affaires weird. Pour rire, je vais dire que je suis ministre des finances et du développement durable de ma famille, mais pour vrai, je suis maman à la maison. Et c’est cool.

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COMMENT ES-TU ARRIVÉE OÙ TU ES DANS TA VIE ACTUELLEMENT? PEUX-TU ME DÉCRIRE TON PARCOURS, LES MOMENTS CHARNIÈRES QUI T’ONT MENÉE JUSQU’ICI? COMMENT AS-TU CHOISI CETTE VOIE?

À la base, j’ai été très malade. Quand j’ai accouché, j’ai perdu mes eaux dans mon lit. Après notre petit séjour à l’hôpital, on a dû changer notre matelas. Pour économiser, on a choisi un modèle de plancher. Mais, ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que les modèles de plancher sont recouverts d’un tas de Scotch Gard, parce que les gens les essaient avec leurs souliers. Pendant une semaine, le matelas était tellement imbibé de produits chimiques qu’il nous fallait mettre une serviette dessus pour dormir. Aujourd’hui, c’est illégal. Ark, mon bébé naissant a dormi là-dessus… elle a d’ailleurs fait énormément d’eczéma pendant cette période.

Moi, j’ai commencé à avoir des symptômes horribles. On a cru que je faisais un ACV: j’en avais tous les symptômes, en plus d’avoir plein de problèmes de peau, la bouche vraiment sèche… Plein d’affaires vraiment weird. Panique totale, plein d’examens, les médecins pensaient que j’étais en train de mourir. Puis, un des médecins a cliqué: il a pensé que peut-être c’était de l’hypersensibilité environnementale, pas une allergie, mais une réaction à long terme à un produit toxique. Il m’a conseillé d’éliminer toutes les matières synthétiques autour de moi, les meubles en mélamine, etc. Éliminer avant d’acheter jusqu’à trouver la source de mon problème.

Je n’ai pas tout de suite cliqué sur le matelas… mais lorsque j’ai compris que c’était le Scotch Gard sur le matelas, j’ai fait une crise en plein hiver. Pendant une tempête de neige, j’ai essayé toute seule de sortir le matelas, je pleurais… Mais, entre le début de mes symptômes et cette découverte, plusieurs choses étaient sorties de l’appartement. Des centaines et des centaines d’objets sont partis au Village des valeurs.

J’ai réalisé que c’est donc ben l’fun de vivre avec moins de choses. Oui, ça me rend moins malade, ça donne moins de travail, c’est plus zen, t’as plus de temps pour faire des choses qui t’intéressent plutôt que de gérer du stock… C’est à partir de ce moment que le projet de simplicité et de minimalisme a commencé. Je ne pourrais plus retourner en-arrière.

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SELON LES JAPONAIS, L’IKIGAI EST UNE RAISON D’ÊTRE, DE SE LEVER LE MATIN, D’AVANCER, LE BUT DE NOTRE VIE. AS-TU TROUVÉ LE TIEN?

C’est ma famille. Je suis vivante, c’est suffisant. Quand j’avais 4 ans, à la campagne, on mangeait super grano déjà à l’époque et ma mère m’avait acheté du Kool Aid, chose très spéciale. J’étais tellement contente, j’ai voulu aller le dire à mon père. Il tondait le gazon sur un tracteur. Je suis partie très vite, mon père a reculé et j’ai glissé sous le tracteur à gazon. J’ai une très grosse cicatrice sur la jambe, il me manque un petit orteil, j’ai eu une greffe de ma propre peau. J’ai failli y rester. À Ste-Justine, on n’a pas compris comment j’ai survécu. La lame du tracteur aurait fait le tour tour de l’artère sans la couper, ce qui est physiquement impossible. Personne ne comprend.

Ainsi, je pense que j’ai compris très jeune qu’on a juste une vie à vivre. Je veux juste être contente. The simple quest of happiness. C’est pas compliqué.

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QUELLES SONT TES VALEURS?

Le respect. J’ai un respect énorme pour Alice. Je respecte Dan énormément. On ne se chicane jamais. Même si on fait des choses qui nous énervent, jamais on ne lève le ton. Le respect de la terre, le respect des ressources, le respect des gens qui fabriquent mon linge, qui produisent ma nourriture, le respect des animaux. J’ai un respect pour l’autorité aussi. Un respect de mes voisins. Si je veux qu’on me respecte, je respecte les autres. C’est une valeur omniprésente, mais subtile en même temps. Elle s’applique à tout. Et je l’apprends beaucoup à Alice en le vivant. C’est la meilleure manière de partager ses valeurs à un enfant.

Je trouve tellement qu’il manque de respect dans le monde. Je veux te donner un exemple: je n’idéalise pas la vie en 1880, mais je tripe sur Anne La maison aux pignons verts. Alice est élevée selon la pédagogie Waldorf et normalement, il n’y a pas de télé. Mais comme je prône l’équilibre, j’ai voulu trouver quelque chose de bien à écouter avec elle cet été. C’est débile, les valeurs dans la série! Les gens avaient une grande fierté, même s’il n’avaient pas grand chose. Le respect des choses (la maison propre, les vêtements dont on prenait soin, le respect du matériel), la politesse… Tout cela s’est perdu avec le temps. On prend beaucoup de choses pour acquis aujourd’hui.

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QU’AIMES-TU LE PLUS DE TA VIE?

Tout! C’est certain qu’il y a des défis, des parties moins l’fun, mais je ne peux pas chialer. J’ai un enfant incroyable, avec une ouverture d’esprit, avec qui j’ai un plaisir fou. Et je ne peux pas espérer une meilleure relation de couple avec Dan… Oui, j’ai des problèmes de santé avec mes allergies, mais si je me compare à des amis, je me trouve bien. Quand tu penses que ça ne va pas bien, compare-toi à quelqu’un de pire que toi et tu vas voir que c’est peut-être pas si grave. Il y a beaucoup de nos petits problèmes qui sont des first world problems. Un de mes petits projets, sans vouloir traumatiser Alice, ce serait de l’emmener, lorsqu’elle sera plus grande, dans un pays où on pourrait faire de l’aide humanitaire. Pour qu’elle voit qu’elle est choyée, ici, avec ses trois repas par jour et notre système de santé – imparfait, mais pas mal meilleur qu’ailleurs.

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QUE TROUVES-TU LE PLUS DIFFICILE DANS TA VIE?

Toute l’énergie négative qu’il y a autour de nous pour des affaires généralement futiles. Il y a des choses qui valent la peine qu’on se batte, mais souvent, mets ton énergie ailleurs. Chialer qu’une compagnie a augmenté ses tarifs de câble, reviens-en. Et voir le manque de respect… T’as le droit de chialer, mais fais quelque chose. Ça m’affecte beaucoup de voir les valeurs de base se perdre. Il va falloir soit que je me fasse une carapace, que j’apprenne à vivre avec ou que je canalise ça d’une quelconque manière. Ça vient vraiment me chercher.

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QU’EST-CE QUE LE SUCCÈS POUR TOI? L’AS-TU ATTEINT?

Je ne sais pas c’est quoi le succès. Je ne comprends pas cette notion. C’est trop abstrait pour moi, trop vague… Ton succès peut être un échec pour moi. Je ne saurais même pas comment expliquer ce qu’est le succès.

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QUELS SONT TES RÊVES, DES PLUS SIMPLES AUX PLUS FOUS?

Juste continuer à être heureuse. Continuer sur notre belle vague. On fait des projets l’fun, on a la santé, Alice n’a pas de difficulté à l’école, Dan a une bonne job et sa retraite s’en vient relativement bientôt et il est à l’aise avec le fait que je sois à la maison. On a atteint un équilibre. Notre qualité de vie est extraordinaire. On m’a offert récemment un emploi qui aurait vraiment pu m’intéresser, mais j’ai refusé. Je n’ai pas de rêve de carrière. On est bien comme on est maintenant.

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QUI SONT TES MODÈLES?

J’ai plus des modèles littéraires, comme Anne La maison aux pignons verts, où la vie était plus simple. Je ne voudrais pas être pauvre: il y a une grosse différence entre simplicité volontaire et simplicité involontaire. Sinon mes modèles sont des gens qui ne sont pas connus. Quand j’étais accompagnante à la naissance bénévole, j’arrivais chez des femmes qui avaient peu de ressources. La force de ces femmes me touche. J’admire ces gens qui ont des vies de misère, qui essaient de s’en sortir et qu’on n’entend jamais chialer. Si j’ai à choisir un modèle, j’aime mieux choisir quelqu’un d’anonyme, mais qui a un parcours admirable plutôt qu’un personnalité médiatisée comme Bea Johnson, par exemple.

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AS-TU VÉCU DES MOMENTS D’ÉCHEC? SI OUI, COMMENT T’ONT-ILS PROPULSÉS?

Non. Je ne suis pas capable de définir le succès, alors je ne peux pas non plus évaluer l’échec. J’ai vécu des moments difficiles, des défis. J’avais commencé un bac en commerce international à l’Université Concordia après le cégep et je n’ai pas aimé ça. On aurait pu voir ça comme un échec mais non, je n’aimais pas ça, j’étais jeune, c’est tout! Ça m’a permis de mieux me définir comme individu.

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QU’EST-CE QUI TE REND LE PLUS FIÈRE DANS TA VIE, AUJOURD’HUI?

Je suis fière globalement. Je suis heureuse. Simple de même.